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LE LIVRE DE LA SEMAINE. Sous la forme d’un journal intime, l’écrivain décrit les atermoiements d’un jeune Sénégalais en France, entre incertitude professionnelle, vie de bohème et rêves d’amour.
Temps de Lecture 3 min.
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« Je fus reçu Docteur en anthropologie à l’université de Caen en décembre 2017. Tout ce que je découvris ce soir-là, c’est que je devenais officiellement chômeur. J’avais eu jusque-là un certain talent dans la vie à différer les échéances. » Ainsi s’exprime, non sans une pointe de dérision, le narrateur de Mâle noir, le premier roman de l’écrivain et journaliste Souleymane Gassama, dit Elgas. Son personnage, arrivé jeune bachelier sénégalais en France, est finalement diplômé à l’âge de 33 ans. Ignorant tout des méandres de la carrière académique, il se retrouve au seuil d’une grande incertitude professionnelle mais est néanmoins bien décidé à vivre cette période de précarité avec panache.
On va le découvrir tour à tour dandy curieux des grands débats qui agitent la société, puis libertin conquérant à l’affût de la moindre occasion de rencontre. Il s’affiche également pleinement citadin, savourant de cafés en quartiers les mille et un attraits de ses villes d’adoption : Paris, Nice et Lyon. « Je me posai au Petit Poucet, l’un des bars les mieux chauffés de Paris. Sa lumière intimiste, sa vue sur le trafic du quartier des Batignolles, les 4,5 euros imbattables de son verre de Côtes du Rhône, les filles en gibier toujours abondant, tout me plaisait dans cet endroit. »
Même s’il finit par donner des cours particuliers à des élèves, puis par obtenir une charge de TD au bas de l’échelle de la faculté, il n’en demeure pas moins accroché à sa bohème estudiantine. C’est que derrière cette superbe, le faux jeune homme dissimule les grandes interrogations au cœur de sa vie : qu’est-ce véritablement que l’amour ? Comment le (re)connaître et oser le vivre pleinement lorsqu’on s’estime, comme lui, disqualifié d’avance par un manque affectif remontant à l’enfance ?
Une autre préoccupation l’agite : celle de la liberté qu’on peut ou non s’autoriser à l’égard de sa communauté d’origine, de son pays, de son continent et, au-delà encore, de la condition d’homme noir. « Mille pensées se cognaient contre les parois de mon cerveau, et je me dis que j’étais un Noir. Que je ne devais pas l’oublier. Cela implique de ne pas être seulement soi, un individu comme un autre, mais d’endosser une part d’histoire, écrite avant soi. D’être un héritier, fidèle à une mémoire. »
Pour exprimer la solitude et les atermoiements de son personnage, Elgas a judicieusement imaginé le dispositif d’un journal intime dans lequel celui-ci consigne en détail chaque moment de son existence. Ainsi, l’auteur réussit à faire de son narrateur un héros romantique d’un genre nouveau, capable d’exposer au lecteur sa part la plus secrète. Ambitieux tout en demeurant accroché à sa vie de débrouille, grand adepte de l’érotisme rêvant du grand amour, aimé de deux femmes à la fois – l’une blanche, Mélodie, l’autre noire, Désirée – et craignant d’en choisir une seule, il est à lui tout seul un immense paradoxe.
A cet égard, le titre du roman, Mâle noir, est à lire comme une inversion du cliché du Noir porte-étendard de la supposée toute-puissance masculine. « Ce que j’aimais surtout, c’était susciter l’amour, être aimé, faire tout pour lire cette gratitude de l’autre. Je marchandais le sentiment autrement. Je convoitais l’amour qui me rassurait », écrit-il. En réalité, le narrateur d’Elgas est un homme inquiet et fragile, confronté à une quête multiple, tant sociale que sentimentale, au bout de laquelle il devra faire un choix unique. A moins que devenir adulte ne soit pour lui l’occasion d’une fuite ultime ?
Avec ce roman original, Elgas aborde, à travers des conversations très libres entre ses personnages, de nombreuses problématiques – telles que le sexe et la race – qu’on retrouve dans les débats universitaires actuels. Au passage, il parvient aussi à renouveler avec brio le genre littéraire classique du roman de formation.
« En partant à dix-sept ans, après mon bac et une vie de quiétude, à Nice, Lyon, ensuite Paris, j’emportais dans ma valise et dans mon cœur une parcelle de ces souvenirs, tantôt à fleur de mangroves où j’allais batifoler, tantôt les longs étés pluvieux, la vie au village, le souvenir précis des amis. Partir était dans l’ordre des choses, parce que le chemin de la gloire l’indiquait. […] Partir, se décolorer, se dissoudre, mourir et espérer renaître au berceau, tel un prince prodigue, c’était le chemin d’une migration assassine mais admise. »
Mâle noir, d’Elgas, éd. Ovadia, 232 pages, 20 euros.
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Daté du lundi 29 novembre
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28 novembre, 2021 0 Comments 1 category
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