Contrairement à ce que suggéraient d’anciennes études, les masses continentales auraient une composition stable depuis au moins 3,7 milliards d’années, et leur croissance se serait déroulée de façon épisodique et non continue.
Ce paysage australien montre un affleurement de roches sédimentaires datant de 3,5 milliards d’années (craton de Pilbara). L’analyse des rapports isotopiques de telles roches renseigne sur l’histoire de la formation de la croûte continentale.
Les continents terrestres sont une des caractéristiques uniques de notre planète. Contrairement à la croûte océanique, dont l’âge ne dépasse pas 200 millions d’années car elle est régulièrement recyclée, la croûte continentale est beaucoup plus ancienne et nous permet de remonter très loin dans l’histoire géologique. Toutefois, à cause de la tectonique des plaques et de l’érosion, les roches continentales sont souvent si modifiées qu’il peut être difficile de déterminer leur origine. Marion Garçon, chercheuse CNRS à l’université de Clermont-Auvergne, a réussi à les faire parler et propose un tout nouveau modèle de formation des masses continentales depuis 3,7 milliards d’années.
Pour ce faire, la géochimiste a compilé les données sur les roches sédimentaires continentales disponibles des années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Ces roches se forment à partir des débris de l’érosion des roches continentales. Marion Garçon s’est intéressée à des isotopes quasi stables de deux éléments chimiques, le samarium (Sm) et le néodyme (Nd). « Les processus sédimentaires ne modifient pas la composition des roches pour ces deux isotopes », explique-t-elle : on peut donc estimer que la composition isotopique des sédiments est identique à celle des roches continentales dont elles sont issues.
Le premier paramètre étudié par Marion Garçon est la composition de la croûte continentale au fil du temps, que l’on peut déterminer grâce au rapport isotopique 147Sm/144Nd : sa valeur est inversement proportionnelle au taux de silice. D’après les résultats obtenus, les roches continentales sont riches en silice (SiO2) depuis au moins 3,7 milliards d’années, avec des taux toujours supérieurs à 60 % (66,6 % aujourd’hui).
Cela va à l’encontre des modèles antérieurs, qui estimaient que les continents avaient été longtemps pauvres en silice et s’étaient enrichis progressivement au cours du temps. « Mes résultats ne remettent pas en cause le fait qu’au début de l’histoire de la Terre la croûte était pauvre en silice, précise Marion Garçon, mais c’était il y a plus de 3,7 milliards d’années. Il y a certainement eu une transition majeure avec une différenciation de la croûte plus importante pour que les continents deviennent plus riches en silice, mais cela n’est pas visible dans les sédiments de 3,7 milliards d’années à nos jours. »
Ensuite, la géologue a évalué la croissance des masses continentales à l’aide du rapport isotopique 143Nd/144Nd. « La composition de la croûte est un mélange entre de la croûte juvénile, nouvellement produite, et une croûte ancienne, indique-t-elle. Grâce à cette méthode, on peut déterminer la proportion de croûte juvénile au cours du temps. » En comparant les rapports mesurés dans les roches au cours du temps avec les valeurs attendues dans un modèle de croissance continue de la croûte continentale, elle a montré que la formation de nouvelle croûte continentale n’est pas un processus continu mais épisodique, avec au moins six pics de production depuis 3,7 milliards d’années, soit tous les 500 à 700 millions d’années.
Pour Marion Garçon, ces découvertes remettent en question les modèles qui proposaient jusqu’ici un grand bouleversement dans le fonctionnement de la tectonique des plaques entre 2,5 et 3 milliards d’années : « On ne voit aucune variation dans la composition chimique des roches ni dans les mécanismes épisodiques de formation ; il n’y a pas de ruptures majeures comme ce que beaucoup d’études suggéraient auparavant. » Même s’il faut se montrer prudent, « il n’y a donc pas de raison de penser que les mécanismes de la tectonique des plaques aient changé depuis 3,7 milliards d’années ».
La teneur en silice de la croûte continentale est relativement stable au cours du temps (figure du haut). L’étoile orange indique la composition actuelle, la verte représente celle de la croûte océanique, plus pauvre en silice. La croissance continentale n’est pas un processus continu et semble suivre un cycle assez régulier (en bas).
Reste maintenant à déterminer les mécanismes à l’origine des épisodes de formation intensive de nouvelles roches continentales. Généralement, celles-ci se forment au niveau des zones de subduction – des zones où les plaques tectoniques océaniques plongent dans le manteau sous les plaques continentales. La vitesse de formation de la nouvelle croûte continentale dépend donc de la tectonique des plaques, car « on observe des variations de la vitesse des plaques au cours de l’histoire de la Terre. Quand les plaques vont vite, on a beaucoup de subduction et on crée beaucoup de croûte continentale, et on a une production moindre quand elles vont lentement ».
Marion Garçon estime que cette discontinuité dans la croissance des continents pourrait être liée aux cycles de formation et de démantèlement des supercontinents, qui eux aussi ont une périodicité proche de 500 millions d’années. « Avec les éléments que l’on a aujourd’hui, c’est le mécanisme le plus probable. Mais, tempère-t-elle, la précision de mon étude est de l’ordre de 200 millions d’années, et les études sur les cycles des supercontinents sont également très peu précises d’un point de vue temporel. » D’autres études seront donc nécessaires pour explorer le lien de causalité entre ces cycles et la formation de nouvelle croûte continentale.
Article paru dans
Pour la Science n°530 – Décembre 2021
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Nicolas Butor est journaliste indépendant.
M. Garçon, Episodic growth of felsic continents in the past 3.7 Ga, Science advances, vol. 7, n° 39, 2021.
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