Reconversion : quand les cadres se tournent vers un métier manuel – Capital.fr

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Son profil LinkedIn avait de quoi impressionner: école de commerce, passage chez Ernst & Young… jusqu’à directrice financière adjointe d’un des principaux fonds d’investissement européens. Mais à 50 ans, Elisabeth Auclair a dit stop ! «J’ai toujours rêvé de travailler la matière avec mes mains, il était temps que je m’arrête pour en faire un vrai métier.» Ni une ni deux, cette grande blonde a quitté son job fin 2019. Avant le deuxième confinement, elle a suivi quatre jours de formation, acheté un four à 3.200 euros et 50 kilos de terre avant de passer deux mois à modeler vases, coupes, assiettes… Elle prévoit d’ouvrir son e-shop de céramiste, baptisé Ceize, début 2022.
Comme elle, de plus en plus de cadres abandonnent des fonctions parfois prestigieuses pour devenir boulanger, ébéniste, bijoutier ou même plombier. «L’image de ces métiers s’est beaucoup améliorée ces dernières années», observe Tiphaine Chouillet, créatrice de l’école La Racine qui accompagne les PME artisanales dans leur développement. Difficile de recenser précisément ces nouveaux convertis. En 2020, la chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) comptait 260.000 porteurs de projets, 60.000 de plus qu’en 2018. Et sur les 130.000 adultes qu’elle a formés pendant l’année, 10% étaient des cadres en reconversion. «Les vocations nées grâce au Covid ne se lisent pas encore dans nos statistiques», précise le président de CMA France, Joël Fourny.
Comment expliquer cet engouement des cols blancs pour le bleu de travail ? Comme Elisabeth Auclair, la plupart réalisent un rêve d’enfant ou font d’un hobby du dimanche leur principale activité. D’autres osent se lancer ex nihilo. Comme Agnès Wion, qui, après avoir bricolé un calage en mousse pour les outils de son mari, a ouvert sa société de découpe de mousse sur mesure! «J’ai commencé avec une défonceuse à main, lancé mon site, et comme le bouche-à-oreille fonctionnait, j’ai très vite investi dans une machine à commande numérique à 8.000 euros», explique cette ancienne infirmière.
C’est souvent un incident de parcours professionnel qui conduit à passer à l’acte: un plan social, un burn-out, la lassitude d’un métier devenu trop routinier ou en manque de sens. «J’avais 15.000 références à gérer en tant que chef de produit chez Zodio, ça m’étouffait tellement que j’ai fini par avoir la voix coupée pendant quinze jours», explique Valérie Portier, une couturière dont la garde-robe composée de basiques fait fureur sur Internet.
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Contrairement aux idées reçues, les revenus de ces ex-salariés peuvent d’ailleurs être très corrects. Et, quand ils le sont moins, ils sont compensés par un mode de vie plus gratifiant. Elisabeth Auclair a quitté Paris pour Avignon. Clément Brossault ne peut plus se payer des tours du monde en vacances, comme lorsqu’il était à la Société générale, mais il voyage grâce à son travail. «Deux semaines par an, je vais voir mes producteurs dans leurs alpages, cela me satisfait encore plus», explique ce néofromager.
Avant de se lancer, mieux vaut tout de même se frotter à son futur métier. Histoire de s’assurer que ce n’est pas une toquade. Le même Clément Brossault a commencé par enfourcher son vélo pour faire pendant deux mois un tour de France des artisans fromagers. «C’est à leur contact que je me suis vraiment décidé», continue-t-il. Cette épreuve probatoire passée, il convient ensuite de muscler ses compétences. Certes, une majorité d’activités artisanales sont accessibles sans qualification réglementaire. Toutefois, l’obtention d’un CAP permet de partir sur des bases solides.
Le plus simple est d’aller frapper à la porte d’une des 21 chambres des métiers et de l’artisanat. Non seulement elles orientent vers la bonne formation, mais elles apportent un tas de services complémentaires: étude de marché, recherche de financement, aide au choix de la forme juridique, etc. «Nous avons un catalogue de produits souvent méconnu et nous serons même moins chers que votre comptable», souffle Joël Fourny.
Pourtant, beaucoup de ces néophytes rechignent devant ces CAP trop longs à obtenir et préfèrent les programmes plus ramassés ou les stages. Alexis Malmezat, passé par une menuiserie parisienne puis chez un créateur de meubles design, s’y est vraiment fait la main. «Le stage permet d’apprendre des erreurs des autres», dit-il. Pour séduire ces exigeants, de nouveaux organismes de formation fleurissent chaque année, dynamisés par la réforme du CPF (compte personnel de formation) de 2015.
Ainsi, dans les ateliers Make Ici de Montreuil, Marseille ou Nantes (bientôt sept sites en France), la plus longue des formations professionnalisantes dure six mois. «Ici, 70% des personnes sont en reconversion, nous leur proposons du sur-mesure», explique Raphaël Roig, responsable de la formation dans ces ateliers partagés.
Au-delà de la technique, il est aussi primordial de ne pas négliger les fonctions commerciales ou marketing. Tiphaine Chouillet, en partenariat avec l’association Artisans d’avenir, vient pour cela de concevoir le programme Impulser, à destination des artisans d’art. Construction d’une marque, définition d’une gamme, d’une structure de coûts, communication sur Instagram, tout y est décortiqué pour les futurs entrepreneurs. «J’ai eu beau investir douze ans dans des PME, c’est différent de devoir tout construire soi-même», explique notre ancienne directrice financière devenue céramiste, qui suit ce programme.
Pour tous, ces formations permettent surtout d’éviter l’écueil principal: la solitude. «Il est essentiel de tester son projet en se confrontant au regard des autres», rappelle Tiphaine Chouillet. «En partageant mon atelier avec d’autres, j’ai toujours quelqu’un pour me remotiver quand le moral flanche», ajoute Alexis Malmezat. Car les affaires ne tournent pas toujours comme prévu. Au bout de cinq ans, 40% des entreprises créées ne sont plus en activité. Rassurez-vous, c’est moins pour les cadres reconvertis.
«Après dix-huit mois, je gagne déjà très bien ma vie»
Cette ancienne chef de produit dans la banque et la grande distribution s’inquiétait de savoir si, en montant sa boîte, elle dégagerait un revenu suffisant. A peine huit mois après avoir lancé son activité d’atelier de couture et de céramique, la voilà rassurée. «Je gagne assez pour me dire que je vais faire ça toute ma vie», se réjouit Valérie Portier. Ses marges lui permettent déjà de dégager 3.500 euros net par mois de revenus. Notamment grâce à ses kits de couture («La chemise essentielle» avec patron, tissus et fiche explicative) qui se sont arrachés sur son site, Maison Essentielle, lors des confinements.
Sa passion pour la confection est née dès l’âge de 12 ans, en regardant sa grand-mère. «J’ai quand même pris des cours du soir avec une couturière russe de mon quartier.» De là à tout plaquer… C’est à l’issue d’un burn-out qu’elle s’est décidée à faire le grand saut. Une expérience très riche: «Je m’occupe de tout, de la création des patrons, de l’organisation des ateliers, de l’envoi des colis à La Poste, de la communication sur Instagram et même de la comptabilité», explique cette jeune maman de 42 ans qui a converti le garage de sa maison en atelier après 30.000 euros de travaux.
«Je me suis donné un an de réflexion et de formation»
Interrogez-le sur n’importe lequel de ses fromages, il est intarissable. Le pavé cendré de la Ferme de Montjay ? «Les chèvres qui ont donné ce lait trottent dans les Alpilles, explique Clément. Elles ne sont plus que 10% en France à ne pas être enfermées toute la journée.» Difficile d’imaginer que ce grand échalas gérait auparavant le «coût net du risque» dans une banque d’investissement. C’est à la faveur d’un plan social qu’il a fait sa mue.
En commençant par une tournée à vélo dans les fermes de France, pour s’imprégner du terrain. En enchaînant avec un stage de six mois chez un fromager à Annecy. Et pour finir en se perfectionnant durant trois semaines à l’Ifopca, l’Institut de formation et de promotion des commerces de l’alimentation. Aujourd’hui, huit ans après avoir dépensé 200.000 euros en pas-de-porte et travaux pour ouvrir sa Fromagerie Goncourt, il emploie six salariés et s’apprête à ouvrir une deuxième boutique.
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«J’avais envie que mes filles me disent: c’est papa qui l’a fait»
Son discours bien rodé de commercial dans la publicité avait fini par le lasser. «C’est devenu évident, je n’avais plus rien à raconter à ma femme en rentrant le soir», raconte Alexis Malmezat. Le trentenaire a alors décidé de donner libre cours à sa passion pour le bois en devenant ébéniste. Après un CAP arrêté au bout de six mois – «j’étais pressé» – et deux stages, l’un dans une menuiserie parisienne, l’autre chez un créateur designer, il s’est lancé fin 2018 au sein des ateliers partagés Make Ici à Montreuil. Aujourd’hui, AL.MA Wood & Art partage son activité entre l’agencement sur mesure pour appartements (80%) et la création de meubles (20%).
Pas de quoi faire fortune: Alexis ne se paie qu’un gros tiers de son ancien salaire. Pour augmenter le chiffre d’affaires, il s’est associé avec un autre ébéniste pour déléguer l’agencement, embaucher et consacrer davantage de temps à la vente… et à sa vraie passion, la création pure. Selon ses plans, sa petite entreprise devrait passer de 100.000 à 240.000 euros de chiffre d’affaires l’an prochain.
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