Pour la première fois depuis mars 2020, le nombre d’offres d’emploi pour cadres a augmenté. Pour certains, c’est le signe que la crise est derrière nous… Mais une difficulté persiste : beaucoup de sociétés ont du mal à recruter des profils en adéquation avec leurs besoins.
Alors que les entreprises investissent des sommes faramineuses pour leur plan de transformation, elles ne pourront pas longtemps en négliger le volet humain. A l’heure du changement permanent, leur compétitivité à long terme est étroitement liée au développement personnel et professionnel de leurs talents. Et donc, en filigrane, au mode de leadership qu’elles seront capables de réinventer.
Les entreprises ont compris dans la douleur la nécessité de se transformer. Pourtant, beaucoup abordent « le monde de demain » avec la mentalité d’hier. De manière arbitraire, elles définissent une « vision 2025 » ou « 2030 » – presque toujours un chiffre rond – dont elles donnent les grandes étapes dans un calendrier artificiellement linéaire. Comme s’il était possible, en formalisant un plan stratégique, d’avoir une quelconque prise sur son environnement !
L’erreur la plus importante consiste à penser que tout naturellement, les troupes vont suivre. Que les grandes formules suffisent à engager et à fédérer. Or, comme le fait valoir le sociologue François Dupuy, « on ne change pas une entreprise par décret » ! Pour que la transformation ne soit pas purement incantatoire, il faut l’inscrire dans le quotidien concret de ses protagonistes. Que veut dire « Act for change » pour les salariés de Carrefour ? Si la raison d’être du groupe n’est pas reliée d’une manière ou d’une autre aux missions du collaborateur, à son éthique, à la manière d’effectuer son travail, il ne se passera tout simplement rien. Ou pire : la situation créera de la frustration. Car il faut bien comprendre que de manière générale, le changement n’est pas vécu comme quelque chose d’enthousiasmant. Son volet technologique, en particulier, suscite plus de réserve que d’adhésion, dans la mesure où les « mégasystèmes techniques » qu’on impose aux employés sont « conçus loin des travailleurs qui en dépendent »[1] … et pas toujours dans leur intérêt.
Ce qu’il faut bien voir, c’est que l’humain est le point de départ de toute transformation réussie. Or, beaucoup de structures continuent à refuser aux salariés la moindre capacité d’initiative, se mettant ainsi en totale contradiction avec « l’orientation client » dont elles font une religion. En effet, pour s’adapter aux nouvelles attentes, le plus pertinent est encore de donner plus de marges de manœuvre à ceux qui recueillent les remontées du terrain ! Peut-on par exemple imaginer qu’un groupe comme Accor, durement touché par la pandémie, réussira sa diversification vers les services aux professionnels – notamment la création d’espaces de coworking – sans responsabiliser ses chargés de clientèle et ses responsables de partenariats et investir davantage dans leur formation ?
Pour autant, gare aux contresens : responsabiliser ne signifie pas abolir tous les cadres. Donner de l’autonomie sans déterminer un périmètre d’actions précis peut s’avérer extrêmement décourageant. Combien de projets mal définis se sont soldés par des échecs ? A tel point que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, beaucoup de salariés continuent d’estimer que « dans une organisation taylorienne, les bienfaits l’emportent sur les méfaits »[2]. S’il y a une velléité de transformation, alors il faut la traduire de façon concrète dans l’organisation et dans les fiches de postes, et donner à chacun les moyens d’atteindre ses objectifs. Il y a donc toujours besoin de leaders : non plus pour contrôler les horaires de travail, mais pour fédérer autour d’une vision et construire un cadre suffisamment souple pour que chacun puisse apporter sa contribution.
Ainsi, avant même d’investir dans des projets pharaoniques, la priorité reste de faire grandir l’humain à tous les niveaux. Les managers et dirigeants, dépositaires de la culture d’entreprise, sont peut-être les premiers à avoir besoin d’un accompagnement. La transformation est en effet un métier en soi, et ne s’improvise pas ! Le développement des collaborateurs, lui, passera nécessairement par un apprentissage continu, car les compétences évoluent en continu. Une erreur encore trop fréquente consiste à considérer la formation comme un sujet RH auquel on s’intéresse une fois dans l’année, sans le relier aux besoins de l’individu et à sa carrière. Une carence qui, à terme, peut coûter cher.
De fait, changer de culture implique des moyens à la hauteur des ambitions qu’on se donne. Réseaux de mentorat, équipes pilotes, modules d’apprentissage : tout est possible, pourvu que les différents leviers d’actions soient cocréés avec les principaux intéressés, en fonction de leurs besoins. A l’heure où la guerre des talents n’a jamais été aussi vive, cet effort vaut vraiment la peine d’être réalisé. Un groupe comme La Poste, en proie à la décrue du courrier, n’aurait jamais pu devenir un référent des services de proximité s’il n’avait pas investi dans ses talents ! Un tel exemple devrait nous inspirer et, surtout, nous rappeler qu’aux fondements de toute croissance, il y a une dynamique de transformation à visage humain.
[1] Irénée Régnault & Yaël Benayoun : Technologie partout, démocratie nulle part
[2] François Dupuy, On ne change pas une entreprise par décret
Alors que les entreprises investissent des sommes faramineuses pour leur plan de transformation, elles ne pourront pas longtemps en négliger le volet humain. A l’heure du changement permanent, leur compétitivité à long terme est étroitement liée au…
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