Relevés d’empreinte, recherches d’indices, autopsies, balistiques, outils high-tech dignes des « Experts » ou de « NCIS »… on se croirait presque dans une série télé. C’est pourtant le quotidien des seize étudiants de cette école unique en Europe.
« On a été pris à parti sur l’établissement Saint-Joseph, il y a plusieurs blessés, peut-être des morts…Demande votre concours ». L’alerte est donnée par Gaëtan Sonnois, le responsable de la logistique et le metteur en scène des exercices immersifs du Bachelor en Science Forensique au groupe scolaire Saint-Joseph La Salle de Lorient dans le Morbihan.
Aussitôt, les secours interviennent. « Ah… ma jambe ! J’ai une balle dans la jambe ! Me laissez pas mourir » Des cris retentissent dans le parc de l’établissement scolaire Saint-Joseph-La-Salle, des corps désarticulés gisent au pied des carcasses de voiture. Partout, dans les arbres, sur le sol, des membres ensanglantés.
Les pompiers, joués par les bacs pro métiers de la sécurité, courent dans tous les sens et évacuent les blessés dans l’urgence. Même si c’est un exercice, la tension est palpable tant cette scène d’attentat terroriste est hyperréaliste.
Une fois la zone sécurisée et les ceintures d’explosifs neutralisées, c’est maintenant aux étudiants en science forensique d’entrer en scène. Ils s’équipent rapidement de leurs célèbres combinaisons blanches, qui leur donnent des allures d’astronautes.
« Essaye de voir s’il y a des caméras de surveillance qui ont pu filmer la scène, essaye de prendre le plus de photos possible des gens aussi autour, comme ça on pourra les identifier plus facilement », Naïka, 21 ans, la cheffe d’équipe, donne ses ordres à la volée.
La jeune femme, venue de Paris, est titulaire d’un DUT chimie analytique et de synthèse. Depuis qu’elle est enfant, elle rêve d’intégrer la police scientifique.
Ma passion pour la police scientifique a commencé avec l’émission « Enquêtes impossibles » de Pierre Bellemare.
Comme elle, les seize étudiants ont d’abord découvert la criminalistique à travers la télévision, les séries et les romans policiers. La réalité est plus complexe et le spectre de connaissances demandé est énorme.
Selon Didier Sonnois, le cocréateur de ce bachelor, la science forensique « c’est l’ensemble des sciences qui existent au service de la criminalistique et de l’analyse des scènes de crime ». Le but est de collecter l’intégralité des preuves permettant de poursuivre l’auteur d’une infraction. « Cela peut-être à l’aide de la médecine légale, de la toxicologie, de l’accidentologie, de la chimie, de l’électricité, de la mécanique… », détaille Didier Sonnois.
Les élèves viennent de toute la France pour participer à cette formation. Ce sont principalement des filles. Certains étudiants sont titulaires de masters, d’autres de licences, en biologie, chimie, sciences de la vie et de la terre, pharmaceutique… Les plus jeunes, la petite vingtaine, ont vocation depuis longtemps à rejoindre la police scientifique.
« Je me suis d’abord orientée vers la psychologie, puis la criminologie et je me suis finalement rendu compte que la criminalistique c’était plus ce qui m’intéressait », explique Camille, 23 ans.. « J’ai envie d’être utile, de participer à une enquête et contribuer au bien commun ». Le plus difficile pour elle c’est d’être confrontée à la mort.
On nous montre des cadavres en photo sur des scènes d’attentat et nous assistons à des autopsies.
Auguste, lui, ne quitte pas sa tablette et son stylo numérique pour prendre des notes. Ce passionné de technologie déteste les séries policières mais est lui aussi animé par le désir de résoudre les scènes de crime : « ce que j’aime c’est la quête de la vérité, aider les personnes, c’est ça qui m’attire vraiment. Me dire que les gens qui ont perdu un proche, grâce à notre travail, vont savoir pourquoi. »
D’autres, comme Martial, 39 ans, le seul lorientais du groupe, ont des parcours plus atypique. « J’ai travaillé pendant 10 ans comme chef de rayon dans la grande distribution. J’avais fait le tour et j’ai décidé de changer complètement d’orientation ».
Aujourd’hui, aucun cursus semblable n’existe dans l’hexagone et plus largement dans l’Union européenne. Pour se former, jusqu’ici les professionnels devaient se rendre à l’école des Sciences criminelles de Lausanne en Suisse ou à l’université du Québec à Trois-Rivières.
Pour autant, ces formations ne disposent pas d’exercices immersifs comme le propose le Bachelor de Lorient. Ce diplôme universitaire a été lancé à la rentrée de septembre 2020 par deux officiers de gendarmerie à la retraite, Thierry Lezeau et Didier Sonnois.
Tous deux ont un CV long comme le bras et ont participé à des affaires au retentissement international comme le naufrage du Bugaled Breizh, la disparition du Docteur Godard et de sa famille, ou encore le meurtre de Caroline Dickinson.
Des affaires dans lesquels les experts en criminalistiques ont joué un rôle clef. Les deux gendarmes se sont depuis associés au sein du cabinet Forensic Consulting France et sont formateurs auprès de magistrats et de policiers, principalement en Afrique.
Les deux experts sont aussi consultants pour Interpol et l’UNODC, la branche de l’ONU spécialisée dans la lutte contre le crime et le trafic de drogues. Pour Didier Sonnois, ce Bachelor en science forensique était une nécessité: « Cette formation est importante car elle prépare aux concours de la gendarmerie et de la police scientifique. Les étudiants ont accès aux dernières technologies, les plus pointues. Ils manipulent même des outils auxquels un gendarme n’aura pas accès dans sa carrière »
Coût de cette formation : 9500 euros pour plus de 800 heures de cours. Au cours de ce cursus de 10 mois, les élèves assisteront à des autopsies, relèveront des empreintes digitales, analyseront de l’ADN en laboratoire, apprendront à tirer avec des armes à feu, étudieront la balistique, se livreront à des exercices sur des scènes de tuerie de masse, d’incendie ou encore d’accidents de la route…
Une trentaine de spécialistes intervient ainsi dans l’année. A l’image de Christophe Ledon, un expert en accidentologie qui a travaillé sur de grandes catastrophes routières comme le drame de Puisseguin qui avait provoqué la mort de 43 personnes en 2015.
Ce jour-là, il explique aux étudiants comment prendre des mesures sur les lieux d’un accident, interroger la boîte noire d’un véhicule et élaborer un plan qui sera utile pour l’enquête judiciaire. Il est épaulé par Pierre-Alain Loezic, un technicien de la société ECR Environnement basée à Larmor Plage dans le Morbihan.
Ce dernier apprend aux élèves à manipuler un scanner 3D. Un appareil qui permet de reconstituer en images numériques le déroulé d’une scène de crime ou d’accident. La formation est aussi placée sous le parrainage de personnalités, telles que l’ancien journaliste Jacques Pradel cette année, et le juge Renauld Van Ruymbeke pour la promotion passée.
Pour le groupe scolaire Saint-Joseph La Salle à Lorient c’est aussi une vitrine, qui a vocation à prendre de plus en plus d’ampleur, comme l’explique Marc Suteau le chef d’établissement: « L’année prochaine nous devrions accueillir des étudiants étrangers et nous allons renforcer notre collaboration avec l’université de Cergy Pontoise qui va développer à la rentrée de septembre 2022 une école semblable à la nôtre. Il y a une forte demande des étudiants. »
La première promotion vient tout juste de participer au concours de la gendarmerie scientifique. Chaque année ce sont seulement quelques dizaines de postes qui sont à pourvoir en police et gendarmerie. Mais ces « experts » ont le vent en poupe. Leur profil intéressent aussi les laboratoires ou encore les assurances.
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