ENSEIGNEMENT SUPERIEUR Les agressions sexuelles peuvent aussi avoir lieu pendant les stages en pharmacie ou à l’hôpital
« Il faut mettre fin à l’omerta. » Après les révélations sur Sciences Po, les IEP ou l’ENS Lyon, un nouveau domaine de formation fait son introspection au sujet des violences sexistes et sexuelles (VSS). Ce mercredi, l’association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) a dévoilé une enquête menée du 21 novembre au 21 décembre 2021 et à laquelle 2.103 étudiants des 24 facultés de pharmacie de France ont participé. Parmi eux, 75,1 % des répondants étaient des femmes et le résultat est accablant. Une étudiante sur quatre a déjà subi une agression sexuelle au cours de sa formation, contre 13,2 % pour les hommes.
Les étudiants ont d’abord été interrogés en fonction des différents degrés de violences vécues, à commencer par les outrages sexistes. Réflexions sur la place de la femme dans les études de santé, injonctions à se maquiller, remarques sur le physique des étudiantes et sur leur vie sexuelle, jugements sur l’avortement ou la pilule du lendemain… Les témoignages présentés par l’ANEPF montrent une multitude de violences verbales de la part d’étudiants… et de professeurs. En effet, 30,3 % des répondants (hommes et femmes) disent en avoir été victimes de la part de membres du personnel pédagogique de la faculté (professeurs et doyens).
Une situation que l’enquête explique par un contexte favorable à ces violences. « Le poids des traditions », comme l’explique Théo Vitrolles, porte-parole de l’ANEPF, qui ne cache toutefois pas sa surprise à la découverte des chiffres. Des chansons paillardes à l’humour carabin, caractéristiques des épreuves d’intégration, le sexisme est ancré dans le milieu de la santé et la pharmacie n’y échappe pas. « Il y a un rapport au corps et un mimétisme qui se transmet, et contre lesquels nous devons lutter », ajoute Théo Vitrolles.
#EtudionsSansAgressions | 🗣Lancement de la #conférence de #presse de présentation des résultats de l’enquête #VSS 📝
2️⃣1️⃣0️⃣3️⃣ personnes qui ont accepté de témoigner à l’occasion de la diffusion de notre enquête durant 1 mois
Introduction par @TheoV_ANEPF pic.twitter.com/YTzHXoNSJo
Degré supérieur, le harcèlement sexuel touche 41,7 % des étudiants interrogés, en particulier les femmes (48,4 %). Dans leur très grande majorité (91,4 %) ces faits sont l’œuvre d’autres étudiants. Les remarques sur l’orientation sexuelle ou le nombre de partenaires sont légion. Et encore une fois, les professeurs sont cités. Une étudiante raconte les messages envoyés le soir, une autre se rappelle des remarques déplacées de son « prof » qui la déshabille du regard au milieu d’un cours, devant toute la classe, suivi d’un : « Mademoiselle, je rêverais de devenir à nouveau étudiant ».
Pire, Nesrine Benabdelkader, vice-présidente de l’ANEPF, relate le cas de chantages aux notes faits par des professeurs lors de leurs avances : « Plusieurs étudiantes ont tenté de dénoncer ces agissements, mais la doyenne a dit que pour faire tomber ces profs, il faudrait plusieurs témoignages, parce qu’ils sont protégés par des collègues. »
Les agissements peuvent alors dériver vers le pire. Ainsi, 27 % des étudiantes interrogées déclarent avoir été victimes d’agressions sexuelles. Les attouchements sont choses fréquentes et se font en majorité lors des soirées et des événements entre étudiants. « En pleine soirée pharma : de nombreuses mains au cul et on m’a déjà “mis les doigts” à travers mon jean sans AUCUN contexte », raconte une étudiante. Mais 15 % des agressions ont eu lieu à l’intérieur même de l’université, parfois de la part de professeurs qui « se frottent » ou qui ont les « mains baladeuses ».
Ces agressions sexuelles mènent parfois au viol. Ainsi, 75 personnes interrogées ont rapporté avoir été violées, 68 femmes et 8 hommes. Car la question du consentement est encore souvent ignorée dans les soirées étudiantes des facultés de pharmacies.
Ces situations ne se limitent pas au cadre de l’université et des soirées étudiantes. Lors d’un stage dans une officine, une étudiante raconte le viol qu’elle a subi, victime de son supérieur hiérarchique alors qu’elle se retrouve seul avec lui à la fermeture de la pharmacie : « En voulant partir par la porte de derrière, elle est fermée à clé. Etonnée, je demande à mon titulaire de m’ouvrir. » L’homme qui avait déjà eu des comportements douteux, la contraint à une relation : « A force de lutter et n’en pouvant plus, je me suis laissée faire, il m’a violée, en silence. »
Car les témoignages ne se cantonnent pas à l’université. Sexisme, harcèlement ou agressions… En stage, les faits sont les mêmes, seuls les auteurs changent. En officine, 32 % des étudiants affirment avoir été confrontés à des remarques sexistes et 30 % ont subi du harcèlement sexuel. Des faits attribués le plus souvent aux patients (80,3 %), mais aussi aux collègues (37,1 %). Le nombre de comportements inappropriés est sensiblement le même en hôpital, mais les violences sont le plus souvent exercées par des médecins et des internes (37,7 % et 30,1 %).
A l’image de ce qui est vécu avec les professeurs incriminés, le rapport hiérarchique avec des médecins ou des pharmaciens placent les victimes dans la même situation. Les signalements ne donnent lieu à aucune suite. Aussi, 83,3 % des étudiants qui disent s’être plaints de VSS n’ont pas vu d’utilité à la démarche. Banalisation des faits, minimisation des agressions, ils finissent par intégrer que s’ils veulent devenir pharmaciens, il vaut mieux se taire et continuer de travailler.
Ces violences ont de lourdes conséquences car plus de la moitié des victimes (54,5 %) affirment que les actes ont eu un impact sur leur vie. Des pensées suicidaires, des dépressions, de l’anxiété, l’envie d’arrêter les études… Pour 15,8 % d’entre eux, ce difficile parcours est même passé par une hausse ou le début de la consommation de drogues, d’alcool ou de médicaments.
Pour lutter contre le fléau des violences sexistes et sexuelles, l’ANEPF dresse 13 propositions pour améliorer la communication sur ces sujets, la prise en charge des victimes, l’organisation de formations pour les personnels pédagogiques et administratifs. Pour le professeur Gaël Grimandi, président de la conférence des Doyens de Pharmacie, « il est important de sensibiliser les étudiants dès leur entrée en faculté pour éviter la reproduction de tous ces comportements. » Le Doyen de la faculté de Nantes s’est aussi engagé à lancer une procédure pour chaque signalement effectué à l’encontre d’un professeur.
Zoë, étudiante à la faculté de pharmacie de Paris demande également à ce que les pharmaciens qui seraient aussi accusés de violences contre les étudiants stagiaires se voient retirer leur agrément, au moins le temps d’une procédure.
Plus encore, si Frédérique Vidal avait annoncé, en octobre dernier, un investissement de 7 millions d’euros dans un plan de lutte contre les violences sexuelles à l’université, les organisations étudiantes demandent maintenant des actes, à l’image du syndicat La Fage, qui, à travers une porte-parole, félicite l’ANEPF pour son travail et son engagement, mais regrette que l’initiative « émane encore des étudiants » et attend « que les autres acteurs jouent leur rôle » dans cette lutte.
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