Le fort engouement pour les contrats d'apprentissage et le compte personnel de formation ont fait exploser les dépenses.
afp.com/PHILIPPE HUGUEN
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Pour Baptiste Derongs, le fondateur de Pipplet, l’année a mal commencé. Jusqu’au 31 décembre dernier, cette certification en langues étrangères pouvait être financée grâce au compte personnel de formation (CPF). Depuis le 1er janvier, Pipplet ne fait plus partie de la liste. « Nous réalisons 40 % de notre chiffre d’affaires grâce au CPF, soupire Baptiste Derongs. On nous demande de prouver que notre certification est utile : qui peut douter de la nécessaire maîtrise des langues étrangères dans le monde professionnel ? » Comme Pipplet, de nombreuses certifications et habilitations ont été éjectées du CPF.
La raison ? « Nous devons nous assurer de la qualité de celles qui sont proposées : des critères légaux d’enregistrement ont été mis en place et une commission indépendante les a évaluées », argumente Stéphane Lardy, le directeur général de France compétences, l’autorité de financement et de régulation de la formation professionnelle, administrée par l’Etat, les partenaires sociaux et les régions.
Mais l’enjeu de ce coup de balai est aussi économique : il permettrait d’économiser quelques millions d’euros dans les comptes de France compétences. Une urgence absolue au regard du trou abyssal dans les finances de la structure créée en 2019. L’organisme – qui mutualise les fonds dédiés à la formation professionnelle et les redistribue ensuite en direction du CPF, de l’apprentissage ou du plan d’investissement dans les compétences (PIC), destiné aux chômeurs non qualifiés ou de longue durée – accumule les dettes.
A l’équilibre l’année de sa création, le déficit s’est hissé à 4,6 milliards d’euros en 2020, et à 3,8 milliards l’an dernier. Selon le budget prévisionnel 2022, la tendance ne devrait pas vraiment s’inverser cette année, avec un trou anticipé de 3,7 milliards d’euros… voire plus. « La situation est devenue totalement insoutenable et hors de contrôle, s’étrangle David Margueritte, représentant des régions au conseil d’administration, et vice-président Les Républicains (LR) de la région Normandie. Les milliards s’alignent et l’Etat ne semble pas s’en émouvoir. »
France compétences a certes payé les pots cassés de la crise du Covid : ses recettes ont été grevées par la mise à l’arrêt de l’économie pendant les périodes de confinement. « Celles-ci sont en grande partie assises sur la masse salariale des entreprises, qui a brutalement chuté, notamment avec la mise en place du chômage partiel qui n’est pas inclus dans celle-ci », explique Stéphane Lardy. Mais ce coup de Trafalgar provisoire ne suffit pas à tout expliquer.
« Le problème est structurel : les ressources ne sont clairement pas à la hauteur des ambitions d’investissement », analyse Philippe Debruyne, représentant la CFDT au conseil d’administration de France compétences. Avant même la crise sanitaire, un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pointait déjà « d’importants besoins annuels de financements, non couverts par les recettes prévisionnelles sur la période 2020-2023 ». Les quelques mois écoulés n’ont pas démenti leurs prévisions.
En 2021, l’apprentissage a battu des records avec près de 720 000 contrats (+ 37 %, après une augmentation de 42 % l’année précédente). Du côté du CPF, l’engouement a également été fort : plus de 2 millions de dossiers ont été financés entre novembre 2019 et le premier semestre 2021. Deux « enveloppes ouvertes » qui ont fait plonger les comptes dans le rouge. France compétences est en effet tenu de les financer, même si la demande explose et creuse le déficit.
Résultat, l’organisme a dû recourir à l’emprunt et a reçu plusieurs fois de l’argent de l’Etat pour éponger le déficit. Un problème de financement chronique qui interroge sur l’avenir de cet édifice issu du « big bang » de la formation professionnelle lancé par le gouvernement en 2018. « Cette réforme a eu d’excellents résultats, au niveau du nombre d’apprentis ou de CPF utilisés, mais il faut résoudre cette question de l’équilibre financier si l’on veut assurer sa survie », plaide Patrick Martin, le président délégué du Medef.
A quelques semaines de l’élection présidentielle, le sujet a été rangé par l’exécutif dans la pile des dossiers à traiter lors de la prochaine mandature. Et pour l’instant, les autres prétendants à l’Elysée ne se bousculent pas pour faire de la formation un des sujets majeurs de la campagne. « Le sujet le plus important aujourd’hui pour l’avenir de l’économie et sa productivité est pourtant celui des compétences, et il est malgré tout totalement absent des débats », s’étonne Bertrand Martinot, expert emploi et marché du travail à l’Institut Montaigne.
Pour l’heure, outre le grand ménage dans les certifications, l’organisme est en train de se pencher sur les « coûts-contrats » (c’est-à-dire le niveau de prise en charge de l’apprentissage). « Nous avons constaté des écarts importants et les CFA [NDLR : centres de formation d’apprentis] doivent désormais nous faire remonter leurs justifications pour l’expliquer », décrit Stéphane Landry. Un ripolinage sans doute nécessaire, mais qui ne résoudra pas tout. Les partenaires sociaux ont quant à eux déjà préparé leur liste de propositions.
Du côté des recettes, « certains secteurs d’activité ne participent pas au financement alors que leurs salariés peuvent avoir accès à ces dispositifs : le gain pourrait être de 700 millions d’euros », avance Patrick Martin. Mais c’est surtout du côté des dépenses que le serrage de vis sera sans doute nécessaire. « L’enjeu de gouvernance est de disposer de leviers de régulation, qui n’existent pas aujourd’hui sur le CPF », propose notamment Philippe Debruyne. Quelle que soit l’issue du scrutin en avril prochain, le nouvel occupant de la Rue de Grenelle sera attendu de pied ferme pour mettre un terme à la dérive.
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26 février, 2022 0 Comments 1 category
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