L'agroécologie, parent pauvre de la formation agricole – Alternatives Économiques

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Malgré un plan « Enseigner à produire autrement » mis en place en 2014 et la rénovation des programmes scolaires, l’agroécologie occupe une place marginale dans l’enseignement agricole public. Au sein de la jeune génération d’agriculteurs, plus sensible à ces questions, nombreux sont ceux qui préfèrent se tourner vers des réseaux alternatifs.
Mathieu Yèle a renoncé à sa carrière d’ingénieur pour réaliser son rêve de devenir agriculteur. Pour y arriver, l’ex-cadre de 33 ans est passé par la case obligée du Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole (BPREA), principal diplôme du secteur accessible en formation continue. Une véritable année de frustration pour ce passionné d’agroécologie qui avait pourtant choisi l’option maraîchage biologique. « Cela n’a pas tout à fait été du temps perdu car j’ai appris le jargon et je me suis fait un réseau mais sur le fond, j’ai très peu appris sur les pratiques agricoles alternatives. On m’a surtout inculqué le culte de la rentabilité économique », confie-t-il.
Alors, comment a-t-il acquis les savoirs qui lui permettent aujourd’hui de se lancer dans le maraîchage biologique en permaculture1 et dans la plantation d’un « jardin-forêt » dans le nord de la Dordogne ? Mathieu Yèle n’hésite pas une seule seconde : « J’ai beaucoup plus appris sur le terrain, en faisant du wwoofing2 à l’occasion de voyages dans le monde et en France. »

Exigence sociale

Des cas comme celui-ci, Cécile Paturel, coordinatrice de l’association Wwoof-France, en recense quotidiennement : « Notre réseau de fermes accueillant des bénévoles comble un manque institutionnel. Les techniques transmises sont des savoirs qui ne s’apprennent pas dans les bouquins, mais bien dans la pratique. » Un engouement, qui, d’après elle, s’est accru avec les récents confinements, notamment chez les 18-25 ans. Le réseau compte aujourd’hui 100 000 wwoofers dans 130 pays contre. L’antenne française en recense 20 000 contre 15 000 en 2019.
« On sait qu’une grande partie de jeunes voulant s’installer en agriculture sont des néoruraux qui ne sont pas issus du monde agricole et très demandeurs d’agroécologie, renchérit Olivier Bleunven, enseignant dans un lycée agricole, par ailleurs en charge des programmes scolaires pour le Snetap FSU, le principal syndicat du secteur. Ils préfèrent passer par des structures alternatives car ils viennent chercher des choses qu’on n’est pas capables de leur offrir, en tout cas pas à la hauteur de leur intérêt. »
Selon le ministère de l’Agriculture, sur les 4 990 dotations aux jeunes agriculteurs versées en 2019 (pour un total 13 400 installations) 33 % l’ont été à des repreneurs « hors cadre familial », donc à des nouveaux agriculteurs dont les parents ne sont pas, en grande majorité, issus du monde agricole. Ce chiffre connaît une hausse lente mais continue depuis 2010, où il était de 28 %.
« Le choix ministériel a été de ne pas créer de spécialité agriculture biologique ou agroécologie car cela aurait signifié que les tous les autres diplômes n’intégraient pas ces enjeux » – Isabelle Gaborieau, à Agrosup Dijon
Pourtant, dès 2014, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, a été à l’initiative d’un plan gouvernemental visant à « enseigner à produire autrement ». Ce programme, mis en œuvre par les régions et reconduit en 2020, a indéniablement produit des résultats. En 2018, un premier bilan se réjouissait par exemple d’avoir atteint 22 % des surfaces en bio dans les fermes de lycées agricoles, soit une augmentation de 74 % par rapport à 2013. Néanmoins, il reste difficile d’estimer la part statistique des cours dédiés à l’agroécologie dans l’enseignement public.
« Le choix ministériel a été de ne pas créer de spécialité agriculture biologique ou agroécologie car cela aurait signifié que les tous les autres diplômes n’intégraient pas ces enjeux », décrypte Isabelle Gaborieau, chargée de mission formation et agroécologie à Agrosup Dijon. Une orientation en ligne avec la FNSEA, seul représentant de la profession ayant un droit de vote à la Commission professionnelle consultative (CPC), chargée de l’élaboration des programmes d’enseignement. Le principal syndicat agricole défend en effet « une approche systémique » permettant d’intégrer ces notions « dans l’ensemble des sujets et non pas dans des cours spécifiques ».
Résultat, « l’évolution est très, très lente, regrette Christophe Van Hoorne, représentant de la Confédération paysanne à la CPC. Aujourd’hui, les profs n’ont pas grand-chose dans les programmes qui leur permette d’enseigner l’agroécologie ». Il est le seul de nos interlocuteurs à oser un chiffre : pour lui, le temps de formation ouvrant réellement la porte aux pratiques agricoles alternatives ne dépasse pas, en moyenne, 10 % du cursus.
Cette place dérisoire tient, selon lui, à la façon dont ont été rénovés les programmes de l’enseignement agricole : « Le plus souvent, on s’est contenté de rajouter des formules floues à l’interprétation libre. Il faudrait au contraire être le plus précis possible pour mieux guider les formateurs. »

Enseignement minimaliste

Un témoignage corroboré par Olivier Bleunven. Sur le terrain, il observe que l’agroécologie n’est pas encore enseignée comme un « système alternatif socialement et économiquement viable » :
« On limite l’agroécologie à un ensemble de techniques agronomiques parmi tant d’autres alors qu’il faudrait construire l’ensemble du programme autour de cette notion », résume-t-il.
Cette appropriation minimaliste de l’agroécologie par les formateurs et les enseignants, Isabelle Gaborieau, l’a elle aussi, observée : « Dans la mise en place du plan, coexistent des conceptions très différentes. Il y a les formateurs qui considèrent que c’est simplement de l’agriculture de précision3, ceux qui ne jurent que par le bio, et d’autres qui l’associent à la permaculture ».
Depuis un décret de 2019 qui fait suite à la loi avenir professionnel, des parties prenantes telles que France Nature environnement, les parents d’élèves ou encore les enseignants agricoles ont été exclus des discussions
Pour tenter d’éviter que des pratiques se prévalant à tort de l’agroécologie ne soient enseignées, le ministère propose aux professeurs des formations et publie des guides pratiques. Il a notamment mis en place un dispositif permettant aux formateurs volontaires d’obtenir une décharge d’un tiers de leur temps afin de participer à des projets allant dans le sens de la transition écologique.
Ce volontarisme ne rassure pas les sceptiques, partisans d’une plus grande directivité des programmes. D’autant qu’à en croire Olivier Bleunven, la situation « n’est pas du tout en train de s’arranger ». En cause, selon le syndicaliste : la loi avenir professionnel, promulguée en septembre 2018 qui a totalement bouleversé la composition des CPC. Auparavant, plusieurs représentants des parties prenantes tels que France Nature environnement (FNE), les organisations de parents d’élèves ou encore les enseignants agricoles, à travers le Snetap-FSU, avaient leur mot à dire au sein de cette instance.
Depuis le 1er septembre 2019 et l’entrée en vigueur d’un décret qui fait suite à la loi, ces trois acteurs ont été exclus des discussions. Cette réorganisation a entraîné une « surreprésentation de la FNSEA et des partenaires sociaux extérieurs au monde agricole, dont le Medef qui dispose aussi d’un droit de vote », explique Olivier Bleunven. Une perte de concertation qui, selon lui, nuit à « la cohérence des formations et des diplômes par rapport aux attentes de la société, dont celle de la transition écologique ».
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